Camp d'Argelès-sur-Mer, février 1939.
Camp d'Argelès-sur-Mer, février 1939.

Les réfugiés espagnols de 1939 «fiers de la solidarité de la France» ? La déclaration d'Harlem Désir sur le plateau de Mots Croisés sur France 2 n'est pas passée inaperçue auprès des républicains espagnols et de leurs descendants. Verbatim : «Juste avant cette émission, j’étais à Montreuil où nous organisions une réunion de solidarité avec le peuple malien et j’ai vu des hommes et des femmes, beaucoup de Maliens de France, qui étaient à la fois inquiets, pour leur pays, comme ont pu l'être des réfugiés, vous savez, des Espagnols ou autres qui ont été accueillis en France au moment où leur pays traversait des drames et des guerres, et qui en même temps étaient fiers de la solidarité de la France, qui étaient soulagés, qui étaient reconnaissants».
Entre incompréhension et indignation, les commentaires n'ont pas tardé à fuser sur les réseaux sociaux et sur le web à l'image du président de l'Association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France (ASEREF), Eloi Martinez Monégal , qui accuse le premier secrétaire du PS de «vouloir réécrire l'histoire» en précisant à juste titre que "s’il y a eu en France solidarité à l’égard des réfugiés espagnols, elle venait du peuple français et non pas des autorités gouvernementales de la troisième République".  De l'Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet d'Ariège à lAmicale des Anciens Guerilleros Espagnols en France en passant par la Fédération Anarchiste, les réactions scandalisées sont unanimes. Y compris chez certains élus (lire les réactions plus bas). Effectivement, si l'on peut discuter de la politique d'intégration post-guerre des réfugiés républicains espagnols en France, leur «accueil» à l'hiver 1939 dans des camps provisoires dont certains n'en auront que le nom (Argelès, Le Barcarès...) n'est pas un exemple à citer lorsque l'on veut parler de solidarité nationale envers des étrangers alors considérés comme "indésirables". 
Les descendants de républicains espagnols  auront à coeur de rappeler à Harlem Désir que sous la 3° République, la France a procédé à des rapatriements forcés vers l'Espagne franquiste de femmes et d'enfants ou que furent mis à l'isolement dans des camps disciplinaires (Collioure, Le Vernet...) des «suspects» sans aucun jugement. De citer la longue liste des camps français en 1939 et le nombre hallucinant de réfugiés internés  (plus de 330.000 espagnols sont passés dans les camps des Pyrénées-Orientales suite à la Retirada*).  De lui préciser que le premier convoi de déportés sur l'Allemagne nazie est un convoi de 900 Espagnols partis d'Angoulême le 20 août 1940 pour Mauthausen... D'évoquer les livraisons de suspects aux autorités nazies ou franquistes sous Vichy, les déportations sur les camps d'Afrique du Nord, ces camps où certains espagnols croupissaient encore en 1942... La déclaration d'Harlem Désir peut donc surprendre par son raccourci historique confondant politique d'accueil - qu'aucun historien ne pourra juger «solidaire» en 1939 – et d'intégration à moyen et long terme. Un manque de connaissances au sujet des réfugiés espagnols de la Retirada - dont un grand nombre se sont battus pour la libération de la France -  dont l'histoire reste encore en souffrance. 
* En juin 1939, la préfecture des Pyrénées-Orientales estime à 500.000 personnes le nombre de réfugiés à être rentrés en France lors de la Retirada. Ce rapport fait état du passage de 330.000 réfugiés dans les camps des  P.O. et du transfert de 170.000 civils vers les différents départements. (source ADPO)
Mise à jour lundi 28 janvier
Les politiques s'en mêlent ...
Le député Jacques Cresta écrit au Premier Secrétaire
Le député socialiste des Pyrénées-Orientales Jacques Cresta a écrit auPremier Secrétaire du PS vendredi 25 janvier. Extraits : "Ces 500 000 réfugiés, dont 330 000 dans les Pyrénées-Orientales, seront « parqués » dans des camps de fortune, qu’ils devront eux-mêmes construire, les familles étaient séparées, surveillées par des Gardes Mobiles de l’Etat Français. Plusieurs sont morts de froid, de faim. Le nombre aurait été plus important si la générosité de certains français n’avait permis d’atténuer leurs malheurs.
Ces mêmes réfugiés furent envoyés au front pour lutter contre l’invasion allemande, non armés, car l’état Français avait peur de ces « rouges républicains ». Et malgré cela, les mêmes réfugiés républicains espagnols, furent les premiers, dans la division du Général Leclerc à entrer dans Paris. Alors, non, nous ne pouvons pas être fiers de cette République, qui a si mal traité ces réfugiés."
Le coup de colère du maire d'Elne
"Coup de colère" de Nicolas Garcia. Le maire d'Elne et descendant de républicains espagnols - son grand-père fut interné à Argelès-sur-Mer - a pris sa plume pour se fendre d'une "petite dédicace à Mr Harlem Desir"  sur son blog avec un lien sur une vidéo montrant des images des camps prises en mars 1939 par Robert Capa.  "Je suis gentil avec Mr Desir car j'aurais pu lui envoyer les photos des enfants à moitié mort de faim et de froid du Camp de Rivesaltes où ceux décharnés accueillis par Elisabeth Eidenbenz à la Maternité d'Elne, tous espagnols si bien accueillis par l'Etat français et qui le remercient de cet accueil (comme l'affirme Harlem Desir) surtout quand ils se souviennent de leurs propres souffrances dans ces camps de concentration ou pire, de leurs parents parfois de leurs enfants qui y ont laissé la vie (c'était en France en 1939 et cela a duré quelques années)."
Unitat Catalana réagit  
Brice Lafontaine, Secrétaire Général d'Unitat Catalana, a rédigé un communiqué rappelant quelques pages sombres de «l'histoire de France» à l'égard des réfugiés de la Retirada. Il rappelle notamment la livraion du président du gouvernement catalan en exil par la France à l'Espagne franquiste. « Il serait peut-être de bon ton d'envoyer une biographie du Président Lluís Companys à Harlem Désir, ou du moins lui enseigner les circonstances de sa mort : représentant démocratique des catalans (président élu de la Generalitat), il est arrêté en France alors qu'il est en exil à cause de Franco. Il est remis aux autorités franquistes qui le fusillèrent. Ses derniers mots furent "Per Catalunya". Seul président de gouvernement élu démocratiquement à avoir été fusillé, il semble peu probable qu'il ait été reconnaissant envers la France...». Et de conclure le communiqué par l'appel d'Unitat Catalana aux instances roussillonnaises du PS « à transmettre une demande de clarification des propos à leur premier secrétaire. Celui-ci ne peut ignorer et encore moins dédaigner les conditions de l'exil d'espagnols sous Franco.»